Le devoir de mémoire

Voici un texte écrit par mon frère Eric-Dimitri Znamensky (1955-2010) et publié fin 2003 dans le numéro 74 du Journal de l’ARC (Action et Recherche Culturelles - Belgique) lorsqu’il en était le secrétaire général. Passionné d'Histoire et de notre histoire familiale, il évoque ici le devoir de mémoire auquel sont confrontés les descendants d'émigrés.


"Le devoir de mémoire, l'obligation du souvenir est un exercice difficile à assumer pour la troisième génération d'exil, les petits-enfants et arrière-petits-enfants de ceux qui furent jetés sur les routes de l'exil par la guerre civile. 


Comme tous les migrants du monde entier, la frontière est ardue entre la réalité des souvenirs très cruels éprouvés par nos anciens et les rêves idéalisés du Monde et de la société qu'ils virent s'effondrer. 


Rien n'était plus beau, plus mirifique, que cette terre russe, sainte et généreuse, qu'ils durent quitter, à contrecœur, contraints, forcés, laissant derrière eux nombre de parents, souvenirs, carrière, emportant dans la débâcle quelques photos, restes dérisoires des jours heureux. 


Pourtant, ils survécurent, s'installèrent, fondèrent à nouveau un foyer, s'intégrèrent, après bien des renoncements, au pays d'accueil, trouvant dans la pratique et l'expression de la foi orthodoxe, les raisons d'une nouvelle espérance et le petit coin de terre russe où se retrouver et évoquer le bon temps d'avant. 


Restés profondément russes, ils n'ont eu de cesse de transmettre leur héritage culturel et religieux à leurs descendants, qui l'acceptèrent plus ou moins bien, écartelés qu'ils étaient, entre leur nouvelle patrie et ce sentiment d'y être pourtant toujours étrangers. 


Assimilés et étrangers, semblables et toujours différents ! Combien il est difficile de concilier des sensations si contradictoires : les réalités sentimentales nées du souvenir et les contraintes d'une vie soumise à un autre monde. 


Aujourd'hui que tous s'en sont allés, je me retrouve face à de vieilles photos bien jaunies à force d'avoir été manipulées, qui me présentent tant de visages, dont je ne connais ni le nom, ni le destin. 


Pourtant, aujourd'hui, les frontières sont ouvertes et le passé revient en force : Vladimir, Rostov, Taganrog reprennent du sens et chantent à nouveau. 


A tous les déracinés qui un jour quittent tout pour construire ailleurs, n'abandonnez jamais la culture et la religion qui vous ont fondé et transmettez-les, à n'importe quel prix.

Eric Znamensky".

Photo de couverture : groupe de Russes blancs sur l'île de Halki, îles des Princes, Constantinople (entre 1920 et 1923). Collection privée. 

Partager cet article
Étiquettes
Nos blogs
Archiver